Article initialement publié dans la Lettre de l'Arboriculture n°105- mars/avril 2022
L’article « Arbres et arbustes, deux mondes très proches » écrit par Jac Boutaud des Arbusticulteurs et publié en mai dernier [Lettre de l'Arboriculture - mai 2021] montrait à quel point la lisière est ténue entre un arbre et un arbuste, aucune classification scientifique ne permettant d’en définir la limite. Mais qu’en est-il de la construction architecturale et du développement des ligneux dans leur ensemble ? Les arbustes sont-ils tous des arbres miniatures ou l’éclectisme des comportements est-il la règle ? En étant un minimum attentif, il est assez aisé de constater que la diversité des architectures courantes est bien plus complexe à appréhender chez ce que l’on a l’habitude d’appeler des arbustes qu’elle ne l’est parmi les arbres.
Afin de mieux comprendre et donc de mieux communiquer, nous allons nous attarder sur la vision pragmatiquo-scientifique qu’ont les Arbusticulteurs au sujet des différents principes de construction des arbustes des régions tempérées comparativement à celui des arbres et au vocabulaire qui leur est attribué.
Grandir depuis le sommet ou le milieu ou bien se renouveler de la base et de l’intérieur ?
Sous nos latitudes, un arbre grandit pendant très longtemps, même a minima. Pour y parvenir, il effectue chaque année des pousses globalement situées dans la partie terminale ou subterminale des rameaux préalablement constitués. C’est ce que les morphologistes Troll et Rauh ont appelé « acrotonie » en 1937 et 1939, du grec acro qui signifie sommet ou extrémité et tonos qui signifie tension. Pour ces morphologistes, les pousses provenant de la partie médiane constituent la mésotonie et la basitonie définit celles qui se développent à la base des rameaux. Cependant, comme le précise Yves Caraglio en aparte, dans l’esprit de Troll et Rauh, tonie ne signifie pas tonus mais plutôt position, lieu où se produit préférentiellement la croissance des axes latéraux. Ces mêmes scientifiques précisent d’ailleurs que les notions d'acrotonie, mésotonie et basitonie « s’appliquent à la manière dont la ramification est initiée et non à la forme finale du système ramifié ».
Il est ainsi sémantiquement inadapté de qualifier de forte acrotonie des pousses terminales vigoureuses. Le respect de l’étymologie ne pose pas de problèmes pour la description de la plupart des arbres, dont l’acrotonie est permanente, mais il présente des limites en ce qui concerne la qualification de nombre d’arbustes.
S’il est évident pour tout le monde que la croissance en hauteur et en largeur d’un arbre s’effectue pendant de très nombreuses années, jusqu’au stade de la maturité, il est beaucoup plus difficile d’imaginer qu’il existe des végétaux ligneux capables de stopper très rapidement leur croissance en hauteur. Pourtant, certains arbustes n’ont aucune croissance en partie terminale des rameaux dès la seconde année et émettent de vigoureuses pousses depuis la base. Ils peuvent même être d’un fonctionnement plus proche de celui des bambous que de celui des arbres ! Pour bien comprendre les arbustes mais surtout bien les utiliser et les tailler, il est donc important de repérer la ou les parties du végétal sur lesquelles se situe la dynamique de croissance et de renouvellement de la structure.
Ne s’appliquant qu’à des pousses qui se constituent sur des rameaux préexistants, les termes acrotonie, mésotonie et basitonie qualifient la localisation de celles-ci le long de l’axe qui les porte.
Renouvellement de la structure depuis la base
Des pousses qui apparaissent au niveau de la souche et non de la base des axes déjà présents ou même plus loin, à partir de racines (drageons) et qui s’échappent de la souche initiale, ne sont pas des ramifications et ne peuvent théoriquement pas être qualifiés de pousses basitones.
Cependant, tous les intermédiaires existent : une pousse située à quelques centimètres de la base d’un rameau est réellement basitone, mais si elle se constitue au niveau de la souche, c’est une réitération. Toutefois, les arbustes qui possèdent une vraie basitonie (de rameaux) cumulent presque toujours des réitérations basales. C’est parce qu’il est souvent difficile de savoir où commencent les unes et où s’arrêtent les autres que les pousses issues de la souche sont également considérées par les Arbusticulteurs comme une forme de basitonie. Elles sont qualifiées de « basitonie de souche ».
Sauf si une plante entière se constitue de manière parfaitement homogène, comme le font les arbres unitaires (Abies, Araucaria, Picea…), le transfert d’un mode de ramification vers la qualification d’une plante n’est donc théoriquement pas possible.
Puisque les chênes ne sont pas unitaires mais coloniaires, dire que ce sont des arbres acrotones est déjà un abus de langage, cependant généralement accepté ! L’abus est un peu moins flagrant quand il s’agit de qualifier de « basitones » certains arbustes, parce que la distinction entre vraie basitonie et réitérations de souche ne connaît pas de limites.
Différence de comportement des rameaux médians
La difficulté de qualifier des plantes en fonction de la position de leurs nouvelles pousses ne s’arrête pas là ! La plupart des plantes basitones (hormis le framboisier qui n’émet en réalité quasiment que des pousses basales ou souterraines) émettent également des pousses situées en partie médiane des rameaux, ce qui permet de maintenir à ces derniers une activité physiologique et donc de les garder en vie.
Ces rameaux, qualifiés de mésotones ou rameaux médians puisque situés en zone médiane, peuvent ne pas permettre un allongement global des bois sur lesquels ils sont situés. C’est le cas de toutes les plantes qualifiées de « basitones » (nombre de Spiraea, petits Weigelia, petits Deutzia). Ces rameaux médians peu vigoureux ne donnent que des structures secondaires généralement courtes qui ne permettent pas un accroissement des rameaux porteurs.
Cependant, dans certains cas, ces rameaux médians peuvent assurer un allongement global depuis le milieu et donc une prise de hauteur et de volume des plantes (Sambucus, Kolkwitzia, nombre de grands Philadelphus…) pendant de nombreuses années. Ils participent donc à la constitution de la structure de la plante. D’un point de vue scientifique, la notion de vigueur n’étant pas plus incluse dans le terme mésotonie que dans acrotonie, il n’est sémantiquement pas possible de qualifier ces plantes de « mésotones ». Pour les désigner, et intégrer, en plus de raisons génétiques, toutes les causes possibles - notamment pédoclimatiques - la création d’un nouveau terme s’est avérée nécessaire : c’est la médiatonie (cf. Pascal PRIEUR).
Totalement pragmatique, la médiatonie définit la capacité qu’a un axe, et par conséquent une plante, à prendre du volume depuis des rameaux mésotones, qu’ils soient issus de ramifications initiales ou retardées, qu’ils soient constitués sur des rameaux verticaux ou des arcures, que l’origine soit génétique ou pédoclimatique.
Le deux arbustes ci-dessus ont une acrotonie rapidement décroissante, une basitonie et des rameaux médians, mais si ces derniers n’engendrent ni prise de hauteur ni accroissement en largeur conséquents sur Forsythia x intermedia, ils sont médiatones sur Sambucus nigra et génèrent une longue et importante augmentation du volume.
Tandis que les espèces type de Forsythia possèdent une plus ou moins importante médiatonie, les cultivars compacts n’en possèdent pas.
Tout comme le terme « gourmand » est indispensable aux arboriculteurs fruitiers pour définir ces pousses vigoureuses et improductives la première année (regroupant tous les suppléants, qu’ils proviennent de réitérations traumatiques ou naturelles), la médiatonie indique qu’une plante grandit et se structure depuis une large partie médiane. Gourmands et rameaux médiatones n’ont guère de sens en dehors de leur domaine d’origine - le côté dévalorisant donné au mot « gourmand » étant même bien souvent à l’origine de nombre d’incompréhensions chez les arboriculteurs d’ornement – mais ils sont une véritable nécessité dans leur domaine professionnel. À l’extrême, Maclura pomifera, nombre de pommiers, Gleditztia triacanthos ou Paulownia tomentosa pourraient être qualifiés de « médiatones », mais cela n’aurait pas de véritable intérêt pour un arboriculteur.
Diversifier les formes en combinant les modalités de ramification
Classer les plantes et leur attribuer un mode de ramification aide à la compréhension de leur construction, mais s’il est possible d’affirmer que l’acrotonie caractérise le port arborescent et la basitonie le port buissonnant, cette distinction n’éclaire pas suffisamment, tant la diversité végétale est grande !
Au niveau de la plante ligneuse entière, les végétaux qui n'ont que de la basitonie sont extrêmement rares. Beaucoup d’arbustes cumulent en effet, à un moment ou un autre de leur vie, à un endroit ou un autre de leur structure, plusieurs principes de constitution de pousses.
Sauf quelques rares cas particuliers, les arbres ont tous un comportement globalement acrotone, éventuellement médiatone, qui leur fait prendre de la hauteur et du volume pendant de très nombreuses années. L'importance des allongements acrotones et leur capacité à se ramifier peuvent décroître avec plus ou moins de rapidité.
Même si des interventions effectuées en pépinière ou in situ peuvent amener certains arbres à être multi troncs pour être formés en cépée, de par leur génétique, tous les axes qui les composent ont le comportement de l’espèce. C’est ce comportement des axes qui va nous permettre de comprendre l’évolution du volume de chaque plante et de caractériser sa nature acrotone ou basitone, et c’est de l’analyse de chacun des axes que découleront également les méthodes de taille qui seront développées ultérieurement.
Si beaucoup d’arbustes affichent de la basitonie, nombreux sont également ceux pour lesquels l’acrotonie est la seule ou quasi seule expression des axes. C’est par exemple le cas de tous les Rhododendron persistants, Buxus, Ceanothus persistants, Choisya, Daphne, Ilex, Leptospermum, Lavandula, Ligustrum, Myrtus, Phillyrea, Salix…Il est en revanche difficile de classer distinctement nombre d’arbustes dans des catégories correspondant exactement aux trois modes de ramification définis, car ils constituent leur structure générale en cumulant, de façon plus ou moins importante, basitonie, méso/médiatonie de vigueur variable et une dose d’acrotonie.
Dans leur jeune âge, la quasi-totalité des arbustes qui possèdent des rameaux médians entraînant une médiatonie sont également pourvus d’une basitonie plus ou moins marquée, qui, sauf à la « cultiver » par la taille, tend à se raréfier, voire à disparaître au fil du temps. Cette basitonie, marquée en phase d’installation, permet de mettre en place des axes de plus en plus grands, jusqu’à atteindre la hauteur adulte. Exemples : Buddleja davidii, Kolkwitzia amabilis, Lonicera fragrantissima, Lonicera involucrata ‘Ledebourii’, Lonicera tatarica, Sambucus nigra, Abelia triflora…
D’autres plantes cumulent acrotonie, diverses formes de rameaux médians et basitonie, comme Nerium oleander, Cotoneaster franchetii ou la plupart des Berberis…
La façon dont les végétaux se construisent et se ramifient est liée à la génétique, mais l’intensité des phénomènes peut être modérée ou amplifiée par les conditions pédoclimatiques. Afin d’occuper l’espace aérien de façon verticale, les dicotylédones ligneuses développent prioritairement, quand elles le peuvent, une acrotonie. En cas d’absence ou d’insuffisance d’acrotonie, la méso/médiatonie prendra le relais et, éventuellement, la basitonie. À l’extrême, quand aucune pousse latérale n’est capable de s’effectuer en partie terminale ou médiane, seules les réitérations de souche (qualifiées de basitonie de souche) et/ou les réitérations souterraines (drageons et/ou stolons souterrains) se manifestent, comme sur le framboisier ou les bambous. Ces pousses souterraines constituent alors pour nous une autre forme de basitonie, la basitonie souterraine. Selon la distance de la souche à laquelle elle s’exprime, elle peut permettre ou pas une colonisation horizontale.
Nombreux sont les ligneux, arbres et arbustes, pour lesquels l’acrotonie est le seul mode de construction. Cette modalité est très efficace pour une prise de volume. C’est la raison pour laquelle les arbustes qui excèdent 3 ou 4 mètres de hauteur ont de très grandes chances d’être majoritairement acrotones (ou fortement médiatones comme Heptacodium miconioides). Mais les grands arbustes n’ont pas pour autant l’apanage de l’exclusivité acrotone : Thymus vulgaris, le thym commun, est l’une des plus petites plantes acrotones.
Quand le manque d’acrotonie ou de forte médiatonie est constaté sur une essence, c’est la basitonie qui s’exprime de la façon la plus évidente.
Les plantes très fortement basitones ont des dimensions verticales qui sont assez rapidement figées, puisque leurs rameaux ne s’allongent généralement pas la seconde année de leur constitution, mais elles ont la capacité d’émettre régulièrement depuis la base des pousses qui, en un an, sont de la hauteur totale (ou presque) de la plante bien installée.
Sur ces plantes, au stade juvénile, les pousses annuelles issues de la souche sont de plus en plus hautes au fur et à mesure de leur développement.
Étonnamment, après plusieurs années de sécheresse et la suppression des bois les plus anciens, la hauteur d’une plante basitone peut diminuer. Inversement, une année humide peut entraîner des pousses bien plus longues que la hauteur initiale totale d’une plante.
C’est exactement ce phénomène qui s’est produit ces derniers temps : après plusieurs années sèches, les renouvellements de la base devenaient de plus en plus faibles.
L’importante pluviométrie printanière et estivale de 2021 a entraîné de très fortes pousses annuelles, y compris depuis la souche, capables de dépasser toutes les autres pousses existantes. De nombreuses plantes ont également développé une médiatonie plus forte cette année que les années précédentes, un peu comme elles le font régulièrement en Angleterre ou dans les Flandres belges, qui ont un climat estival plus humide.
Une solution pour aller encore plus haut
Au-delà des principes habituels de croissance des végétaux ligneux, il faut préciser que, pour dépasser leur propre aptitude à coloniser l’espace aérien, il n’est pas rare de rencontrer des arbustes appuyant leurs rameaux sur des voisins plus grands qu’eux pour s’élever encore plus. De manière générale, nombreuses sont les plantes capables de se servir d'une structure arbustive ou arborescente comme support, et dès lors qu'elle n'a pas besoin d'utiliser son énergie pour rigidifier ses tissus, une plante diminue la grosseur de ses feuilles et allonge ses entre-noeuds pour faire grandir ses rameaux. C’est par exemple le cas de Kolkwitzia, Spiraea x vanhouttei, Cotoneaster franchetti, Kerria japonica, Forsythia x intermedia, Lonicera maacki… mais surtout d’Elaeagnus x ebbingei, à forte tendance naturelle sarmenteuse. Ces plantes, sont en fait semi-auto-portantes et colonisent verticalement les autres ligneux en empilant des axes « explorateurs » pour prendre de plus en plus de hauteur. Si ce phénomène n’est pas exceptionnel chez les plantes sauvages, il tend à fortement se raréfier chez bon nombre de nouvelles obtentions horticoles sélectionnées pour leur volume plus compact que celui de leurs « parents ».
Époque ou mode de floraison des arbustes : que privilégier ?
Plus que pour les arbres, le choix des arbustes est fréquemment guidé par les caractéristiques de la floraison : couleur, forme et époque. Selon la période à laquelle l’induction florale (la programmation de la floraison) s’établit, deux types se distinguent : floraison sur les pousses de l’année et floraison sur les bois de l’année précédente. Dans la première catégorie, citons chez les arbustes Caryopteris, Chitalpa, Fuchsia, Heptacodium, Hibiscus, Hypericum, Lagerstroemia, Lavandula, Perovskia... et chez les arbres Koelreuteria, Sophora japonica, Catalpa ou Tetradium. Les arbustes et les arbres fleurissant sur les bois de l’année précédente sont majoritaires. Citons Cotinus, Deutzia, Philadelphus, Syringa… pour les premiers, et Acer, Aesculus, Quercus, Paulownia, Robinia… pour les seconds.
Si globalement les arbustes qui fleurissent sur les pousses de l’année s’épanouissent en été (Hibiscus) ou en automne (Arbutus unedo) et les seconds en hiver (Hamamelis) ou au début du printemps (Forsythia), la règle est loin de s’appliquer en toutes circonstances. Il existe par exemple des spirées dites « d’été » qui éclosent leurs fleurs en mai tandis que certaines spirées « de printemps » ne les ouvriront pas avant fin mai début juin. Hydrangea paniculata fleurit sur les pousses de l’année, quasiment au même moment qu’Hydrangea quercifolia et H. macrophylla, qui fleurissent tous deux sur des bois de l’année précédente. De même, chez les arbres, Tilia henryana fleurit en plein été, mais sa floraison est induite l’année précédente.
Et ne parlons pas des décalages liés à la latitude ou à l’altitude ! L’époque de floraison peut très fortement varier selon le lieu tandis que le mode de floraison est immuable car il est génétique. D’un point de vue pratique, le premier intéresse les utilisateurs d’un jardin, mais c’est le second qui devra être pris en compte pour effectuer une gestion adaptée.
La classification pragmatique basée sur la dynamique de croissance et définie ci-dessus permet de comprendre que des arbustes qui prennent longtemps du volume sont soit acrotones (prise de volume depuis le sommet) soit médiatones (prise de volume depuis le milieu des rameaux) et que les plantes basitones ne grandissent pas ou très peu, au-delà de la période nécessaire à l’installation de leur système racinaire, soit 3 à 5 ans environ.
Cette classification présente le grand intérêt de mieux comprendre l’évolution volumétrique des arbustes et donc de mieux les utiliser pour mieux les préserver.
Un prochain article détaillera les techniques et les principes de taille qu’il est possible d’appliquer pour allier au mieux esthétique et évolution du volume des différents types d’arbustes selon le comportement de leurs axes.
Auteur : Pascal Prieur
Contributeurs : Jac Boutaud, Yves Caraglio
Bibliographie
Drénou, C. (2016). L’arbre - au-delà des idées reçues. IDF.
Raimbault, P. (1990). La taille des arbustes et des jeunes arbres d’ornement. CNFPT.
Prieur, P. (2017). Les fondamentaux de la taille raisonnée des arbustes. Ulmer.
Le Maut, C. 2012. La taille des arbres et des arbustes. Ouest France.
Boutaud, J. (2003). La taille de formation des arbres d’ornement. Société française d’arboriculture.
P.E.2-R0 : Travaux d’entretien des arbustes. (2013). Unep.
Yves Caraglio, enseignant chercheur au CIRAD de Montpellier, spécialisé dans l’architecture et le développement des plantes
Comentários