Récit d'une visite des Arbusticulteurs chez Yves Darricau, à Saint-Ganton (Ille-et-Vilaine)
En cette matinée du 14 juillet, une petite troupe de 18 personnes(*) de tous âges chemine à travers les ruelles de Saint-Ganton, un ancien village de carriers, non loin de Redon. Nous suivons notre guide Yves Darricau jusqu’à la rue des Vignes. Sur ce coteau exposé plein sud, des vignes ont été cultivées jusqu’au 17e siècle. Jusque dans les années 1960, il y avait une châtaigneraie et des pommiers au-dessus de la rue, à l’emplacement de l’actuel champ de blé. « Le paysage floral est devenu très pauvre, explique Yves, il n’y a plus de fleurs après la floraison du châtaignier ». Les vergers ont été arrachés et les prairies permanentes retournées, au profit de cultures de ray-grass et de maïs ensilage. À cette simplification des paysages liée à la mécanisation et à l’intensification de l’agriculture s’ajoutent aujourd’hui les effets du changement climatique, avec des floraisons avancées d’un mois : « En cinq mois, on a 80 % de la ressource pour les abeilles », s’inquiète l’apiculteur, dont l’ambition est de recréer un paysage nourricier pour les abeilles tout au long de l’année. Il a commencé ses premières plantations d’arbres mellifères sur le pré d’un hectare qui entourait l’ancienne étable de son beau-père : c’est devenu en vingt ans un véritable jardin-forêt qui enserre son rucher. Depuis à peine dix ans, l’ingénieur agronome à la retraite a entrepris d’installer sur le coteau, sur une trentaine d’ares bien exposés, une vigne et un verger, tous les deux à vocation expérimentale.
Sur le coteau ensoleillé de Saint-Ganton, un vignoble installé depuis moins de dix ans (photo de gauche © P. Frileux ; photo de droite © J. Boutaud)
La vigne s’étend en contre-bas de la rue, dans le sens de la pente. Ce sont des cépages de la Loire, résistants à l’oïdium : cinq rangs de Sauvignon blanc (que nous dégusterons chez nos hôtes) et cinq de Pinot noir. Pour combattre une idée largement répandue chez les vignerons selon laquelle la mécanisation est incompatible avec la présence d’arbres dans les vignes, Yves Darricau a planté des arbres et des arbustes sur les rangs de ceps, en tenant compte des contraintes des viticulteurs, notamment l’absence de toxicité des fruits et une fructification décalée par rapport aux vendanges.
Yves a récupéré dans la campagne de jeunes ajoncs d’Europe (Ulex europaeus) pour créer une haie nourricière le long de la rue : « L’ajonc c’est le garde-manger des abeilles l’hiver : ça fleurit en novembre, décembre, janvier jusqu’à la fin du printemps ».
Il les a associés à des chênes (chêne-liège et chêne vert), dont le pollen est très nutritif. Le chêne-liège présente l’avantage d’une floraison plus tardive, à une période où les abeilles ont moins de ressources. Le sous-sol schisteux de la région, acide, lui convient bien.
En ce début d’été, les abeilles ont porté leur dévolu sur un arbre à papillons à floraison jaune, le ‘Sungold’ (Buddleja x weyeriana ‘Sungold’), un hybride improbable, moitié chilien (Buddleja globosa, à floraison printanière), moitié chinois (Buddleja davidii), stérile mais néanmoins très riche en nectar, à une période où il n’y a plus de fleurs (de juillet à septembre).
Yves Darricau a planté une haie intra-parcellaire, parallèle aux rangs de Sauvignon, pour diversifier le paysage et nourrir les abeilles ainsi que des auxiliaires de la vigne, des phytoséides notamment, qui se nourrissent de pollen et d’acariens herbivores, dévoreurs de vigne. Ces phytoséides trouvent refuge dans le duvet qui recouvre la face inférieure des feuilles de viorne-tin (Viburnum tinus). « Il faut la planter à dose industrielle dans les vignes, s’exclame l’agronome, car elle héberge des acariens prédateurs ! ». L’apogée de sa floraison est en mars, mais on peut étendre cette période en diversifiant la population, ce que fait Yves en bouturant à partir de différents pieds-mères. D’autres viornes abritent ces acariens, tel Viburnum rhytidophyllum planté un peu plus bas, mais leur floraison est printanière, en même temps que la plupart des autres floraisons.
Entre deux rangs de vigne, une haie diversifiée à floraisons nectarifères échelonnées
tout au long de l’année. (photo de gauche © P. Frileux ; photo de droite © J. Boutaud)
Nous longeons cette haie très diversifiée, en port libre, avec quelques arbres supportant bien la sécheresse (Cormier, Chêne tauzin, Koelreuteria), et surtout des arbustes, pour la plupart introduits, à l’exception du noisetier – apprécié par l’apiculteur pour sa floraison très précoce et l’abondance de pollen – et du genévrier commun, pourvoyeur d’épice. Pour parfumer la cuisine, Yves Darricau a également introduit le poivrier du Sichuan, Zanthoxylum simulans. Certaines espèces sont là simplement pour la beauté de leur floraison, comme le Lilas, dont la fleur est sans intérêt pour les insectes du fait de sa corolle trop longue. Quant à l’Indigofera, il n’attire pas les insectes mais il fixe l’azote atmosphérique grâce aux bactéries symbiotiques qu’il héberge dans ses nodosités racinaires, comme la plupart des Fabacées. C’est le cas également des céanothes tel Ceanothus x delileanus, un hybride français entre l’américain C. americanus et le mexicain C. coeruleus, à floraison estivale (de fin juillet à fin août). L’Heptacodium myconioides prend le relais en septembre-octobre, et présente l’avantage de très bien supporter la sécheresse.
L’Acacia du Nouveau-Mexique (Robinia neo-mexicana) est également bien adapté sur les terrains secs. Il est plus petit que le robinier faux-acacia et présente une belle floraison mauve, avec la particularité de fleurir une 1re fois au printemps à partir de bourgeons mixtes, et une seconde fois en juillet, sur les pousses de l'année.
Nous remontons le coteau à travers les rangs de Pinot noir, d’installation plus récente, et dans lesquels Yves Darricau a intercalé des arbustes sur le rang, en privilégiant des feuillages persistants (Elaeagnus ebbingeï) et des floraisons précoces (Ribes rubrum, R. nigrum, R. sanguineum ainsi que R. aureum, plus résistant à la sécheresse), sans oublier quelques arbres (châtaigniers, noyers, cerisiers). Sur ces cinq rangs, la gestion des arbres et arbustes est calée sur les besoins de la vigne : tout est taillé en même temps à la scie électrique, pour tester la résistance de ces plantes à ce mode de taille.
Au-delà des vignes s’étend le verger, dont le choix des espèces suit cette même logique de diversification, pour nourrir les abeilles et faire face au réchauffement climatique. On y trouve donc des arbres tels l’Amandier, le Kaki et le Noyer de Pékan, ainsi que des arbustes tels le Câprier, la Myrte commune ou encore Colletia paradoxa, une plante d’Uruguay et d’Argentine qui fleurit en décembre et se contente de 150 à 200 mm d’eau dans sa région d’origine.
Parmi les floraisons estivales, nous observons un arbre à papillons à fleurs blanches, Buddleja nivea, butiné devant nous par un moro-sphinx. Comme la plupart des arbres à papillon (à l’exception de B. globosa et B. alternifolia), il fleurit sur le bois de l’année et peut donc être rabattu en fin d’hiver sans compromettre la floraison.
Le buplèvre arbustif (Bupleurum fruticosum) est quant à lui couvert d’abeilles domestiques.
Plus tard dans l’été fleuriront Rubus ishengensis, très attractif, Clerodendrum trichotomum, Ulmus parviflora en fin d’été, et plus tard encore l’arbousier, la variété ‘Atlantique' très florifère. Au milieu de ce verger planétaire trône une ruche-tronc façonnée dans un morceau de sequoia et adossée à un jeune Tetradium daniellii, le fameux Arbre à miel.
Après un déjeuner généreusement offert par Yves et sa femme dans leur véranda, nous poursuivons la visite dans l’ambiance forestière du jardin-rucher, créé il y a vingt ans sur un pâturage d’un hectare. La strate arborée est dominée par des tilleuls – le cultivar ‘Benivay’ sélectionné dans les Baronnies pour la tisane, mais aussi l’espèce chinoise Tilia henryana –, un Chêne-liège chinois dont les feuilles ressemblent à celle du châtaignier, ou encore un érable à feuilles d’obier (Acer opalus), premier érable à fleurir, avec une floraison riche en pollen et nectar.
L’arbre à miel (Tetradium daniellii) commence à épanouir ses fleurs et attire déjà plein de butineuses. Il en existe cinq populations différentes en Chine, dont les floraisons s’échelonnent à partir de fin juin jusqu’en octobre. Il se comporte bien en ville, dans des sols drainants.
Yves Darricau porte notre attention sur un petit châtaignier asiatique rarissime en France, Castanea seguinii.
Il présente la particularité de fleurir en continu tout au long de l’été. On observe effectivement des fleurs fanées et d’autres fraîchement épanouies, assurant ainsi une provision de pollen jusqu’aux premiers frimas. Koelreuteria bipinnata est également rare en collection. Sa floraison est beaucoup plus tardive que celle de son cousin paniculé : il faudra revenir à l’automne pour le voir fleuri. Nous manquons de peu la floraison de Polyothyrsis sinensis, dont les fleurs sont encore en bouton. Ehretia dicksonii a une floraison très odorante, mais sa baie est fade.
À la faveur d’une zone plus humide dans le bas du jardin, Yves Darricau a créé une mare et planté diverses espèces de saules qui assurent une floraison attractive et échelonnée de février à août selon les espèces. En ce mois de juillet, c’est au tour de Salix triandra semperflorens, le saule le plus tardif, de régaler les abeilles de son nectar. Sur le peuplier baumier (Populus trichocarpa), ces mêmes abeilles récupèrent la résine qui s’écoule des bourgeons pour la transformer en propolis, ce matériau isolant aux vertus antifongiques.
Ainsi, le jardin d’Yves Darricau offre une collection d’arbres et d’arbustes construite en suivant le fil directeur de l’abeille : apporter une nourriture riche en nectar, diversifiée en pollen et échelonnée tout au long de l’année, dans un contexte de réchauffement climatique. Sa collection est donc riche en arbustes à floraisons précoces et tardives, pour combler les deux grandes lacunes estivales et hivernales. Obtenus à partir de graines ou de jeunes plants et suivis avec l’œil expert de l’agronome et du jardinier, ses arbres et arbustes sont d’une belle vigueur, et l’on ne peut qu’être épatés par les transformations paysagères qu’il opère ainsi, en seulement 20 ans. Les Arbusticulteurs qui ont manqué cette visite pourront se plonger dans la lecture passionnante des trois ouvrages d’Yves Darricau : Planter des arbres pour les abeilles. Pour une apiforesterie (éd. de Terran, 2018), La vigne et ses plantes compagnes (avec sa fille ingénieur agronome et œnologue, Léa Darricau, éd. du Rouergue, 2019) et Des arbres pour le futur. Mémento du planteur pour 2050 (éd. du Rouergue, 2022).
Aux Arbusticulteurs.rices qui souhaiteraient tenter un semis de châtaignier de Seguin cet automne (sur sol acide à neutre), Yves Darricau propose d’envoyer quelques graines de sa récolte de Saint-Ganton. Pour le contacter : darricau.yves@gmail.com
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