Article initialement publié dans La lettre de l'arboriculture - Mai 2021
Texte et photos Jac Boutaud (sauf mention contraire).
Relecture de Christine Chasseguet et Pascal Prieur
Bien que présents de façon très imbriquée dans nos espaces végétalisés, les patrimoines arborés et arbustifs sont très souvent gérés par des acteurs différents, arboristes d’un côté et jardiniers de l’autre. Ces deux mondes étant pourtant très proches, il nous semble judicieux de tenter de les décloisonner.
Les problématiques des arbres et des arbustes sont largement similaires : ce sont des êtres vivants ligneux qui ont les mêmes besoins élémentaires pour se développer – en particulier un sol d’un volume suffisant pourvu d’eau, d’air et de nutriments accessibles – et souffrent des mêmes agressions en milieu urbain. A contrario, la dangerosité est moins importante pour les arbustes de par leurs dimensions plus restreintes et ils ont le plus souvent une moindre longévité.
Tous les arboristes constatent avec dépit que de très nombreux arbres sont massacrés, malgré des décennies de lutte pour les préserver.
Eh bien, les arbustes ne sont pas mieux lotis ! La tronçonneuse est remplacée par le taille-haie qui transforme leurs harmonieuses silhouettes en patatoïdes difformes, avec tout le respect dû à ces délicieux tubercules que sont les pommes de terre. Cela provoque souvent leur dépérissement et nous prive de leurs multiples intérêts : diversité des architectures, des formes et des dimensions, floraisons étalées tout au long de l’année, accueil d’une grande biodiversité… C’est d’autant plus dommageable que ces pratiques drastiques et inappropriées augmentent fortement les temps de travaux et donc les coûts de gestion, ainsi que les rémanents à recycler, qui sont d’ailleurs trois fois plus importants que ceux des arbres au sein des collectivités.
Définition d’un arbuste vs. arbre
Qu’est-ce qui différencie les arbustes des arbres ? Si l’on s’intéresse aux définitions, elles sont multiples et parfois contradictoires.
Ainsi, le Bon Jardinier indique que l’arbuste est un végétal ligneux buissonnant de petites dimensions, l’arbrisseau un végétal ligneux à tronc unique ne s’élevant qu’à quelques mètres de hauteur. Bernard Boullard, mentionne l’inverse : l’arbrisseau est un végétal ligneux de moins de 4 m de hauteur, ramifié dès la base et dépourvu de tronc, et l’arbuste a toutes les caractéristiques d’un arbre mais fait moins de 7 m de haut. Christen Raunkiær distingue les chaméphytes (bourgeons de renouvellement situés à moins de 50 cm du sol), les nanophanérophytes (bourgeons situés entre 50 cm et 2 mètres), les microphanérophytes (bourgeons entre 2 et 10 mètres du sol). Christophe Drénou distingue, sans prendre en compte la hauteur, les arbres avec tronc unique nettement individualisé, les buissons avec troncs multiples issus d’un même point au niveau du sol et les colonies avec troncs multiples et indépendants, issus d’une multiplication végétative par marcottes ou drageons. Quant aux dictionnaires de la langue française, ils varient ou mentionnent qu’il n’y a pas consensus au sein de la communauté scientifique.
Quoi qu’il en soit, une simple définition ne peut que difficilement rendre compte de la grande diversité des arbustes. C’est la raison pour laquelle l’association les Arbusticulteurs a développé une approche pragmatique et accessible même aux néophytes pour décrire leur fonctionnement, dans le prolongement des travaux de Pierre Raimbault.
Modalité de croissance combinée
le plus souvent, les arbustes combinent naturellement deux ou trois des modalités.
Elle consiste à repérer dans quelle partie du végétal se situe la dynamique de croissance ou de renouvellement.
Ainsi, les pousses les plus vigoureuses peuvent être à la base des tiges (basitonie) ou de la plante elle-même (réitérations basales), à l’extrémité des tiges (acrotonie) ou dans la partie médiane (médiatonie) (cf. Pascal Prieur). Selon les cas, ces pousses sont issues de ramifications ou bien de réitérations différées spontanées.
Cependant, les tailles peuvent perturber fortement le fonctionnement normal des arbustes : il faut donc distinguer les rejets qui en résultent des pousses installées selon la séquence de développement propre à l’essence.
Très peu d’arbustes fonctionnent exclusivement avec un renouvellement des tiges sur la souche ou directement au sol (framboisiers). Ceux qui fonctionnent uniquement avec de l’acrotonie sont assez nombreux (hibiscus, buis, photinia...) et sur ce plan, ils se distinguent assez peu de beaucoup d’arbres (chêne, merisier, cèdre...).
Mais le plus souvent, les arbustes combinent naturellement deux ou trois des modalités. Ainsi le seringat associe réitération sur souche et rameaux médians plus ou moins toniques selon les variétés. Le laurier-sauce réitère aussi régulièrement au niveau de la souche et construit des troncs avec une acrotonie marquée.
L’approche scientifique sur le développement des ligneux de Francis Hallé avec Roelof Oldeman leur a permis d’établir des modèles architecturaux pour décrire les plantes. Pour les régions tempérées, une quinzaine de modèles contient des arbustes, seulement une dizaine pour les arbres.
Parmi ces modèles, Rauh regroupe les bruyères et les épicéas, Champagnat le forsythia et le saule pleureur, Troll le sureau noir et le févier d’Amérique.
Parallèlement, les modalités de construction du tronc définies par Yves Caraglio (forts en tête, indifférents, indécis), si précieuses pour analyser les jeunes arbres avant une taille de formation, sont peu utilisées pour les arbustes rarement conduits en tige unique et remontée.
Les modalités de floraison utilisées pour analyser les possibilités de taille des arbustes sont essentiellement liées à l’âge des rameaux qui les portent. Ainsi, on distingue ceux qui fleurissent sur les rameaux de l’année précédente (forsythia, lilas) de ceux qui fleurissent sur les pousses de l’année en cours (lavande, hibiscus).
Réfléchir avant d’agir
La démarche d’analyse préalable à toute intervention est tout à fait similaire à celle qui précède la taille des arbres. Elle utilise d’ailleurs les mêmes termes, les Arbusticulteurs souhaitant faciliter les passerelles entre arboristes et jardiniers (publications de ses membres, règles professionnelles de l’UNEP).
Cette démarche peut se résumer ainsi :
analyse des contraintes, du projet paysager et de l’intensité de la gestion
analyse des végétaux présents et de leur conduite actuelle
choix de la forme la plus appropriée à maintenir ou à obtenir (libre, contenue, architecturée, mixte…)
choix de la nature de l’intervention (formation, entretien dans la continuité, conversion vers la forme choisie…)
mise en œuvre de la taille si nécessaire (comme pour les arbres, une analyse bien menée conclut régulièrement à l’absence de besoin de taille !)
évaluation des réactions des arbustes pour éventuellement adapter l’intervention suivante.
Il existe néanmoins des particularités propres aux arbustes : les changements de conduite sont plus faciles à envisager et peuvent ne pas impacter la pérennité, même suite à un recépage.
De même, il est fréquent de chercher à mettre en valeur la floraison, la coloration ou la texture des bois. En effet, les arbustes constituent un décor à échelle humaine où les détails peuvent prendre de l’importance.
La conduite des arbustes est de plus en plus intégrée dans la gestion différenciée des espaces verts des collectivités : celle-ci vise à adapter les modalités et la fréquence d’entretien aux situations très variées (jardins emblématiques, accompagnement de voiries, parcs de loisirs, espaces naturels, etc.). Cette approche permet d’optimiser les interventions en fonction des usages et d’améliorer le bilan environnemental et économique global. Plus la gestion est extensive, plus les interventions sont limitées.
Ainsi, un forsythia planté en isolé dans un jardin très soigné sera taillé en éclaircie sur souche chaque année, un autre installé dans un massif en bordure de boulevard ne subira cette éclaircie que tous les 2 ou 3 ans alors que ceux qui composent le massif d’un grand espace de loisirs seront recépés tous les 10 à 12 ans.
D’autre part, au sein d’un même espace, la gestion des arbustes peut se faire à l’échelle des individus mais aussi des peuplements : il est souvent souhaitable de faire des éclaircies dans des massifs trop denses ou d’arracher des végétaux inadaptés aux contraintes de volume. De même, des recépages sélectifs tournants peuvent permettre de concilier densité d’un écran visuel ou physique et maîtrise de la hauteur.
Ces modalités de gestion des structures arbustives ressemblent à celles de la gestion forestière…
Décloisonner
Puisqu’il y a continuité, il serait judicieux de décloisonner les spécialités et ainsi améliorer la gestion de tous les ligneux.
En conclusion de ce premier aperçu, nous pouvons relever de nombreuses similitudes entre les arbustes et les arbres. D’ailleurs, les spécificités qui distinguent ces deux catégories ne sont pas plus importantes que celles qui existent au sein de chacune. Puisqu’il y a continuité, il serait judicieux de décloisonner les spécialités et ainsi améliorer la gestion de tous les ligneux.
L’arboriste pourrait s’intéresser de plus près aux arbustes et les intégrer dans son domaine d’intervention. Le jardinier se sentirait plus concerné par les arbres et pourrait prendre en charge leur taille de formation lorsqu’elle est nécessaire.
La vulgarisation de l’importante connaissance acquise en architecture des arbres est nécessaire afin d’améliorer les tailles qui sont souvent inappropriées. Un gros travail scientifique reste à accomplir pour mieux comprendre et décrire l’architecture des arbustes, ce qui aidera à affiner les interventions et, espérons-le, tendra à faire disparaître les formes disgracieuses qui défigurent nombre d’espaces végétalisés. Pour les mêmes raisons, nous espérons vivement que le nouveau barème de l’arbre sera suivi d’un barème équivalent pour les arbustes…
Nous poursuivrons cette évocation des arbustes à l’occasion de prochains articles qui permettront d’en détailler différents aspects (vocabulaire employé, types de tailles, diversité des essences…).
Bibliographie
- Chaudun, V., & Grisvard, P. (1992). Le bon jardinier. La Maison rustique.
- Boullard, B. (1988). Dictionnaire de botanique (0 éd.). ELLIPSES.
- Wikipedia contributors. (2021, 28 janvier). Classification de Raunkier. Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_de_Raunkier
- Drénou, C. (2016). L’arbre - au-delà des idées reçues. IDF.
- ARBUSTE : Définition de ARBUSTE. (s. d.). CNRTL. Consulté le 9 mars 2021, à l’adresse https://www. cnrtl.fr/definition/arbuste
- Raimbault, P. (1990). La taille des arbustes et des jeunes arbres d’ornement. CNFPT.
- Prieur, P. (2017). Les fondamentaux de la taille raisonnée des arbustes. Ulmer.
- Hallé, F. (2004). Architectures de plantes. JPC Éditions.
- cité par Boutaud, J. (2003). La taille de formation des arbres d’ornement. Société française d’arboriculture.
- P.E.2-R0 : Travaux d’entretien des arbustes. (2013). Unep.
Très bel article.